SENS ET COHERENCES HUMAINES
©Roger NIFLE

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AU COEUR DU SUJET

LA TRINITE DE L'HOMME (ch-2)

Roger NIFLE 1885

 

 

I - L'EXISTENCE DE L'HOMME ET DU MONDE

Dimensions et aspects de l'existence humaine

II - L'INSTANCE DE L'HOMME

L'Instance, l'esprit, la vie, l'intelligence

La transcendance de l'homme

La transcendance de l'homme, condition de sa liberté, source de toutes les pratiques humaines.

III - L'INSTANT


Y a-t-il pour l'homme plus important que l'homme lui-même? Dieu, dirons les uns; le monde ou l'univers, dirons les autres. Or l'homme est justement à cette articulation, d'une part d'un monde dont il semble engendré, et d'autre part d'un principe dont il pourrait provenir par création. Si la Bible nous enseigne que l'homme est à l'image et à la ressemblance de Dieu, cela devrait nous entraîner à une connaissance de l'homme autre que celle d'une production de la nature ou du monde existant. Par ailleurs, si l'homme est une production du monde, en quoi est-il spécifiquement homme et quel est son devenir?

Si l'homme appartient au monde, par son rôle de sujet, il y témoigne d'une humanité qui est d'une autre nature; d'une nature spécifiquement humaine: le Sens. Le monde des existants se trouve relatif à l'Homme, c'est le monde des hommes, des Etres de Sens. Cependant rien de l'homme ne dit d'où viennent l'homme et le monde de l'homme, rien si ce n'est une question et une réponse. Cette question est celle de l'origine de l'homme, la réponse est celle d'une conscience de Sens, d'une lumière prédisant une source, éclairant un devenir. Question et réponse se présentent à l'homme dans le monde, en lui-même. Si l'homme n'accède pas à son Etre, il n'accède pas à l'origine de son Etre.

La connaissance de l'homme par lui-même permet à la fois l'accès à son origine et à sa fin, et permet en outre une maîtrise de son existence.

Or l'homme est présent en trois ordres différents:

- l'homme existant dans le monde, dans l'EXISTENCE,

- l'homme Etre-Sens qu'on appellera ici INSTANCE,

- l'homme marqué par une présence de lumière et de création en provenance de l'INSTANT.

Pour traiter des problèmes humains, il est indispensable d'en connaître le sujet -l'homme-. Toutes les conceptions du monde, de Dieu, des choses, rares ou banales; tous les projets, les actions, les recherches, sous-tendent une conception de l'homme; qu'il en soit le sujet ou l'objet.

Nous allons dessiner ici un panorama de la question de l'homme. Ce panorama ne prétend pas être une démonstration, mais une première présentation privilégiant le tableau d'ensemble plutôt que les détails.

Les trois ordres en l'homme: sa trinité

Image de la trinité divine, l'homme connaît en lui-même trois ordres. L'un est principe d'engendrement, source de son Etre vivant et de lumière sur lui-même, en lui-même. Le second, son Etre, est Sens, c'est-à-dire Esprit. C'est sa nature spirituelle. Le troisième est incarnation de son Etre dans une existence. Cette trinité suppose une double transcendance, dont l'Etre humain est l'intermédiaire entre Dieu et le monde.

Cette trinité se déclinera en outre, dans l'Etre de l'homme lui-même, en trois Sens par lesquels il peut accéder à lui-même et au-delà. Dans l'existence même, elle se répercutera selon le principe de ternarité.

Le panorama de la trinité de l'homme vient ici pour nous aider à sortir des dualismes, vite réduits en monismes, qui dominent l'époque contemporaine et qui, avec la disparition de l'homme, font disparaître la question de son origine et de sa fin. Il demande l'effort d'un regard neuf sur l'homme.

 

I - L'EXISTENCE DE L'HOMME ET DU MONDE

 

L'existence de l'homme, d'un homme, et celle du monde pour lui, sont indissociables. Ils sont l'un à l'autre immanents. Cela veut dire que l'on ne peut enlever une quelconque partie de l'un ou de l'autre sans que l'un et l'autre disparaissent.

Il s'agit là d'une conception nouvelle, proche des considérations sur l'interdépendance universelle des existants dans l'univers, mais très éloignée des conceptions dominantes où il semble que l'homme pourrait être un individu parfaitement isolable sans que sa nature en soit directement affectée. Or si on enlève l'homme du monde il ne reste rien. Si on enlève le monde à l'homme, il ne reste rien de son existence à lui. Cette dépendance n'est pas celle d'une quelconque nécessité de survie mais bien plus une question de co-existence immanente, d'aspects différents d'une même existence.

Nous pouvons considérer: soit l'existence d'un homme et de son monde, soit celle du monde et des hommes. C'est la première voie que nous allons d'abord emprunter.

L'existence d'une chose, l'existence de l'homme, sont ce qu'ils ont de définissable. Etre définissable ou avoir une finitude, caractérise ce qui a une étendue mesurée, d'espace et de temps par exemple. C'est ainsi que les existants ont leur existence.

L'homme existant n'est pas seulement un corps, même vivant, il est aussi une histoire avec ses péripéties, ses événements, ses traces, ses répétitions, ses évolutions, etc... Il est fait, en outre, de tout ce qui est présent dans chaque moment de la vie quotidienne: le corps bien sûr, toujours là, mais aussi la présence à nous des objets environnants, les gestes et les rapports à tout ce qui nous entoure, aux autres. Il faut aussi y joindre pensées, savoirs, projets, attentes, plaisirs, joies, souffrances, sentiments, perceptions, mouvements, souvenirs, représentations, etc... L'existence humaine englobe tout cela, tout un ensemble de facteurs, d'aspects, de dimensions qui la constituent. Tous ces éléments qui appartiennent à cette existence et la composent, forment globalement l'ensemble d'une vie humaine, ainsi qu'une multitude de situations particulières qui semblent se succéder et s'imbriquer les unes dans les autres.

Un homme c'est, de ce point de vue une existence, la sienne, qui lui est propre, même si elle est partagée en participant à d'autres existences, à celles du monde et de l'humanité. Un corps sans histoire n'est pas un homme, une histoire humaine sans corps, ce n'est pas un homme, une pensée seule sans mouvement, ce n'est pas une existence, des sensations sans mémoire, ce n'est pas d'un homme. En fait, nous dirons que l'existence de cet existant qu'est l'homme est faite de nombreux aspects qui sont tous indissociables. Ils peuvent être de natures différentes: pensée et corps, histoire et affectivité par exemple, mais ils restent tous indispensables l'un à l'autre, pas toujours en même temps, peut-être, en tout cas certainement pas toujours présents à notre conscience. Cette conscience même de notre propre existence et de ces aspects n'est-elle pas, elle aussi, un aspect de l'existence humaine, comme le sont, eux aussi, les mots utilisés pour la décrire ou l'exprimer?

Nous en venons à dire que tous les aspects de l'existence de l'homme sont immanents. L'un d'entre eux présuppose la présence ou la possibilité de tous les autres. C'est l'ensemble et sa cohésion qui font l'homme, dans l'ordre de l'existence. Y a-t-il alors un tout de l'homme, quelque chose qui ne soit ni un aspect, ni une combinaison particulière? La "globalité" d'une existence, n'est encore rien d'autre qu'un "aspect", l'aspect global. L'homme est-il une entité en lui-même, qui ne se réduise à aucun aspect ni même à leur somme? La réponse pour nous est oui. L'homme est une Instance et cette Instance qu'est l'homme n'est pas dans son existence, elle la transcende.

Le terme d'Instance est choisi ici, d'une part pour évoquer un lieu d'autorité, de décision, lieu de la responsabilité en l'homme, là où ça répond. Il évoque en outre le fait que ce lieu, nommé Instance, n'est pas achevé mais en devenir, en attente donc. Il n'est pas tout à fait un Etre achevé, c'est pour cela qu'on le nomme ici Instance (cf. Théorie de l'Instance).

 

DIMENSIONS ET ASPECTS DE L'EXISTENCE HUMAINE

 

Anticipant sur la théorie de l'existence on en empruntera le schéma ternaire pour présenter notre propos.

Celui ci décrit l'existence d'un homme, son existence pleine et entière, qui n'isole pas une de ses composantes mais les rapportent toutes au même ensemble. Cette description de l'homme, tout un chacun peut s'y reconnaître et peut envisager ce qui est, pour lui, l'aspect ou la dimension qu'il privilégie. Cependant, une mise en garde est à faire à ce propos. Ce n'est pas dans l'existence que se trouve pour l'homme le siège de son Etre, de son Instance, de son sens. Il n'y a pas dans cette existence de cause à cette existence. Il n'y a que des corrélations entre tels ou tels aspects, corrélations qui en caractérisent l'immanence.

1) Les trois dimensions de l' existence

Les trois dimensions principales, significatives de l'homme dans son existence sont représentées par les vecteurs du schéma ternaire.

 

a) La dimension intentionnelle

C'est celle du sujet, celle qui, en l'homme existant, marque la présence d'un sujet, au-delà duquel un Etre subsiste: l'Instance. C'est, pour un homme, ce que l'on peut appeler sa personnalité, le soi, ses tendances propres, son autorité, la marque de sa liberté le fait qu'il ait une démarche propre, orientée, dirigée de lui-même.

Cette dimension de sujet n'est pas le tout de l'existence de l'homme mais ce qui, dans cette existence, caractérise l'essentiel. C'est par cette dimension là que l'homme accède au coeur du sujet, c'est-à-dire aux sens des choses, à son Instance et, au-delà, à l'INSTANT-DIEU.

b) La dimension attentionnelle

Si dans l'existence d'un homme il y a une dimension propre, celle de sujet, il y en a une autre qui correspond à la présence, pour lui, de tous les existants du monde. Ils ne sont présents, pour lui, qu'en tant "qu'objets de considération", soit objets de conscience, soit même objets de présence, d'existence. L'homme, dans son existence, ne les connaît ou les fréquente que comme ses objets, en tant qu'ils le concernent et pas comme des choses absolument isolées de lui-même. Si parmi ces existants, figurent sa propre existence, son corps, sa conscience par réflexion, on ne peut pas dire que l'existence de l'homme ne contienne pas tous ses objets, tout un monde, le sien (partagé certes avec d'autres). Si nous prétendons habituellement, par exemple, que notre corps nous appartient absolument, qu'il caractérise notre personne, nous faisons erreur. En effet, un corps, le nôtre n'est pas déterminable, ni définissable indépendamment d'un monde dont il fait partie. Si nous pensons être des personnes différenciées, il nous faut accepter que nos existences, bien que différenciables, ne sont pas séparables du monde qui est le leur. Seules, nos Instances sont différenciées et séparées.

Ainsi, il faut y insister, tout ce à quoi nous pouvons porter notre attention, participe de notre propre existence, tout en étant néanmoins plus ou moins partagé. En ce sens notre monde nous appartient personnellement, mais seulement comme copropriété.

La propriété matérielle est inhérente à l'existence humaine, la propriété absolument privée est aberrante, seule une autorité personnelle exercée sur une propriété commune est acceptable.

L'ensemble des objets, constituant le monde du sujet, est "la matière" de son existence, ce à propos de quoi le sujet existe, ce en face de quoi il est un sujet.

c) dimension extensive

De ces deux dimensions de base, découle un produit, la vie proprement dite. L'existence, c'est aussi toute une histoire, de la naissance (ou la conception) à la mort de cette existence. La vie de l'homme, déroulement des événements, des moments de son existence, appartient bien à cette existence

Traverser une situation, vieillir, avoir séjourné ici ou là, avoir voyagé, vivre tous les jours, tous les ans de notre vie, cela ne constituerait-il pas notre existence? Il ne s'agit pas là d'un accessoire dont notre existence pourrait se passer. Notre histoire est consubstantielle à notre existence. Réduire celle-ci à celle d'un corps, serait ignorer que celui-ci est sans cesse changeant, échangeant d'ailleurs sa matérialité avec l'environnement. L'histoire du corps est aussi intrinsèque à l'existence que le corps lui-même. Ainsi, cette dimension historique de l'existence, celle de vivant, doit-elle intégrer tout le temps et l'espace de notre existence, tous les moments, tous les temps et les espaces dans lesquels notre sujet et nos objets sont animés pour nous de cette vie qui est la nôtre.

 

2) Les trois plans de l'existence

Outre ces trois dimensions fondamentales de l'existence humaine, il est intéressant de considérer trois plans indissociables, selon lesquels l'homme existe.

a) Le plan affectif

Le rapport du sujet à ses objets est un rapport d'affectation de l'un par les autres. C'est le plan du vécu, celui où, dans son existence, le sujet éprouve ses objets, les ressent, les affecte et en est affecté. Vu de ce plan, l'existence est affaire de relation, mais d'une relation d'affectation mutuelle. C'est l'ordre du sensible, des sentiments, des émotions. Selon ce plan, l'homme est affectivité, mais cette affectivité n'est qu'un des plans de cette existence. Cette affectivité n'est pas un organe mais un vécu. Tout ce qui nous touche participe à notre existence affective et ce vécu d'être touché constitue tout un plan de notre existence.

b) Le plan mental ou imaginaire

Tous les objets avec lesquels nous sommes en rapport dans notre existence ont une double présence pour nous. L'une en tant qu'objets auxquels nous sommes confrontés, l'autre en tant que représentations mentales de ces objets. Ces représentations mentales, pensées, réflexions, imaginaire, schémas, formes, etc... constituent tout un plan de notre existence que l'on pourrait appeler existence mentale. Le mental, là non plus, n'est pas un organe (contrairement à ce que nos visions réductrices inhumaines nous font croire). Le mental n'a d'existence que dans ces représentations, toutes celles: souvenirs, idées, formes, images, dont notre existence est faite selon ce plan. Il ne s'agit pas là d'un accessoire mais d'un plan intrinsèque de cette existence.

c) Le plan factuel ou corporel

Notre existence, c'est aussi un corps physique, mais un corps en mouvement parmi d'autres corps et constitué lui-même de multiples corps. Ce plan d'existence, celui des faits de notre existence, celui du "il y a" ceci et cela, devrait être défini comme étant tout un monde de choses où notre corps est l'une d'entre elles, privilégiée et différenciée certes, mais inséparable de toutes les autres. Et tout ce monde de choses est agité de faits, traversé par des corps en mouvement relatif, des corps en déplacement.

Peut-on dire que notre existence n'est que ce plan et en conséquence lui donner la primeur? C'est ce que font certaines conceptions matérialistes, celles qui tendent à éliminer, dans l'existence humaine, la dimension du sujet, ou de la réduire à un simple processus énergétique.

Dans l'ensemble de ces trois plans d'existence, on pourrait distinguer, d'une part, le plan factuel, celui de la présence physique et matérielle de l'homme, où il est corps parmi les corps, le plus anonyme et le plus soumis aux vicissitudes matérielles, et, d'autre part, l'ensemble des deux autres plans, que l'on pourrait appeler son âme ou son psychisme, ce qu'il y a de plus personnel dans son existence, de plus proche du sujet bien que toujours conditionné par les objets de son existence.

Cette représentation de l'existence de l'homme n'est pas le tout de l'homme. Il y manque son principe, ce qui anime tout cela, le fait exister: le coeur du sujet, qui est au-delà du sujet -l'Etre-Sens- que l'on appelle ici l'Instance humaine.

Chaque homme est une Instance et c'est avec les autres Instances humaines qu'il se fait exister. C'est pour cela que cette existence n'a pas d'autonomie individuelle mais reste toujours partagée. Seule, la dimension du sujet dans l'existence de chaque homme y marque la possibilité d'une autonomie personnelle, mais toujours contingente, pour une existence individuelle non isolable.

Il reste une remarque à faire à propos des existants dans le monde et le monde existant lui-même. Pour chaque homme, ils ne sont pas hors de son existence, mais appartiennent intrinsèquement à son existence (partagée). Seule, l'Instance n'est pas de ce monde parce qu'elle le transcende. Dans le monde de chacun, appartenant à son existence propre, tout, au contraire, est immanent, indissociable, bien qu'on y distingue une multiplicité d'éléments.

 

II - L'INSTANCE DE L'HOMME

 

L'existence de l'homme n'en constitue pas les sens. Au-delà de tous les aspects de cette existence, au-delà de cette existence même, il y a encore à découvrir plus profondément l'Instance de l'homme. L'homme, en effet, est d'abord une Instance qui se manifeste dans une existence.

Cette Instance de l'homme est justement constituée de sens, ces mêmes sens dont on ne trouve que les manifestations variées dans l'existence. L'Instance pourrait se présenter comme Etre. Un Etre substantiel, verbe infinitif s'incarnant dans une existence. Seulement, être UN Etre n'est pas donné d'avance à l'Instance, mais celle-ci peut le devenir. C'est pour cela que l'on pourra appeler l'homme par son Instance: Etre en devenir

L'homme est en devenir, encore à accomplir, notamment parce que l'unité ne lui est pas intrinsèque, elle appartient au-delà de l'Instance à l'INSTANT. Au contraire, l'Instance de l'homme est d'abord plurielle. Avant de devenir UN Etre, elle est constituée d'une multitude de verbes infinitifs qui ne demandent qu'à être conjugués pour faire une existence.

Mais ces "verbes infinitifs", dans l'Instance, ne sont que des regroupements de Sens, sens de ces verbes et de leurs conjugaisons possibles. Ce sont ces groupements de Sens, équivalents à des verbes infinitifs, que l'on appellera des cohérences.

De cette multiplicité de Sens, cohérences et verbes, il est possible pour l'homme d'accéder à une unité d'Etre par une conscience spéciale: la conscience de Sens, et grâce à l'Instant, principe ultime de cette unité.

Ainsi, il faut aller au-delà de l'existence de l'homme, au-delà de son corps et de sa psyché, pour atteindre ce qu'il est essentiellement. Seulement, ce qu'il est au plus profond de lui-même n'est pas figé, ni immuable mais au contraire pluriel, évolutif et en devenir. Dans son Instance profonde, l'homme reste à accomplir. Son existence, qui y puise sa source, exprime la présence de cette Instance et de son évolution mais elle en cache l'essentiel, ce qu'elle est, ses Sens

On comprend que l'homme puisse ignorer sa propre Instance et son devenir, de même que le (ou les) Sens de cette existence. Il aura beau scruter cette existence par toutes sortes de sciences humaines, il n'y verra pas son Instance. Cependant, s'il aperçoit que l'homme est sujet dans l'existence, alors il a quelques chances d'accéder au coeur du sujet, à l'Instance et à ses Sens, par une conscience toute particulière, la conscience de Sens.

L'Instance de l'homme est d'abord le lieu de son Etre, celui de son autorité, sa personne propre aussi. C'est là où ça se décide, ça choisit, ça réagit, ça s'exprime, mais ce n'est pas la décision, le choix, la réaction, l'expression, qui eux appartiennent à l'Existence, dans leur manifestation.

L'Instance prend nom de sujet dans l'existence, sujet y est le nom donné à ce qui est au fond une Instance. Le sujet est toujours sujet d'un verbe, peut-être le verbe Etre. L'Instance serait comme le verbe infinitif pour lequel le nom est "sujet". En particulier, nous avons déjà désigné l'Instance comme Etre de l'homme. On peut l'entendre ainsi: l'Instance de l'Homme est son verbe dont le terme est son nom. En fait, nous nous apercevrons que dire: "l'Instance est un verbe Etre substantiel", n'est qu'une possibilité ultime. En effet, il faut considérer que l'Instance, en l'homme, est l'ensemble des verbes dont il peut être sujet, comme chanter, jouer, courir, penser, etc...

L'Etre Instance devient sujet en existant. Il devient aussi objet et acte. Le verbe conjugué devient conjugaison du sujet à l'objet dans l'acte. Sujet, objet, acte sont des termes d'existence; personne, Instance, sens, des termes d'Etre.

Le verbe être résumerait dans une même unité l'ensemble de tous les autres verbes. Or, notre hypothèse est que cet Etre n'est pas d'emblée achevé, "ETRE" est son devenir, ce à quoi l'Homme peut accéder: "ETRE UN", singulier. Ainsi il vaudrait mieux dire: "l'Instance de l'Homme est l'Etre en devenir".

L'Instance n'est pas achevée, accomplie, elle est verbes (infinitifs) et n'est pas d'emblée "Etre" mais elle peut le devenir. C'est un accomplissement, pour l'homme, que de pouvoir devenir un Etre tout à fait singulier dont Adam et Jésus-Christ sont le commencement et la fin.

Poursuivons sur le thème du verbe, pour noter que l'Instance est en elle-même composée des verbes infinitifs. Ce sont leurs conjugaisons, conjugaisons de l'Instance de l'homme, avec d'autres sens sans doute, qui en fait l'existence. Chanter. Je chante une chanson. Le sujet et l'objet n'apparaissent qu'avec la conjugaison. Ainsi l'Instance, en elle-même, est verbe infinitif dont la conjugaison fait l'existence, comme sujet étant comme ceci ou cela, c'est-à-dire existant. L'Homme, dans son existence, n'y est donc connu que par les conjugaisons de ce qu'il est comme Instance. Il n'y a pas de conjugaison sans sujet et sans infinitif du verbe. Il peut à l'inverse y avoir infinitif sans conjugaison, mais alors sans existence non plus. Cela nous donne un aperçu de ce qu'est l'Instance (verbe infinitif) de l'homme dont l'existence (conjugaison) nous est seule visible par la conscience commune. Notons au passage que les conjugaisons des verbes sont ce que nous avons évoqué comme acceptions de Sens. Nous n'en appréhendons que les indices, les objets, les signes...

Avec la question des verbes et du verbe Etre, est apparue la diversité interne de l'Instance. C'est là un aspect très important. En effet, s'il n'y avait pas de diversité en l'Instance, il n'y aurait qu'unité et ainsi il n'y aurait ni devenir, ni variété d'existence propre. En effet, si l'Etre-sens était UN sans diversité, il ne pourrait qu'Etre sans autres verbes et Etre achevé sans passé ni futur. Or, c'est la diversité des Sens qui fait d'abord que chaque verbe peut être conjugué de mille façons.

Chanter peut se conjuguer à tous les temps, tous les lieux, tous les autres, tous les chants. Cela fait bien des modes d'existence pour y chanter. Du seul fait de l'homme qui chante, il y a là toutes sortes de Sens pour en conjuguer le verbe.

Tout un ensemble de sens, dans l'Instance, équivaut à un verbe infinitif qui peut donner existence à un phénomène. Cet ensemble de sens, c'est ce que l'on nommera Cohérence, et on pourra parler ainsi de la "Cohérence" du phénomène (ou d'un existant particulier). On saura alors que cette Cohérence siège en l'Instance de l'homme. C'est dans cette Cohérence que se présentent, en lui, tous les choix de Sens à donner à cette existence particulière, ou encore, à conjuguer pour faire existence selon ce verbe. La diversité ne s'arrête pas là, puisqu'il y a aussi plusieurs verbes en l'homme, c'est-à-dire plusieurs verbes-Cohérences. Etre englobe le tout, mais cette unité n'est pas donnée d'avance; elle peut devenir possible, selon ce que l'on fait de son existence. Cela pose les questions d'accomplissement, de liberté et plus généralement celles du Sens de la vie, ou de chacun de ses actes.

La conception de l'homme, développée ici, propose une réponse toute nouvelle. L'homme, en tant qu'Instance "EST" les Sens de sa vie, de son existence et du devenir de son Instance. Cependant, la diversité (infinie) des Sens, pose effectivement le problème d'une orientation, des choix et de leurs conséquences, de la liberté, de l'éthique, du rôle de normes et de repères.

Tout cela redevient un problème humain fondamental, inscrit dans sa nature même, et non plaqué de l'extérieur. Tous les devenirs de l'homme sont, potentiellement, en lui en tant qu'Instance. Devenir, est un verbe d'homme, qui peut s'achever en Etre. En lui-même, en son Instance, les perspectives de l'homme vont selon ses Sens dont l'existence fera son existence, incarnation des verbes-sens.

L'Instance de l'Homme est son essentiel, ce qui fait qu'il est homme (son humanité donc), et cet homme là, sa personne propre. Par convention, nous considérerons que la personne humaine est l'Instance. Une personne plurielle donc, mais dont l'unité, singularité, peut advenir si elle s'accomplit. L'Instance de l'homme est le lieu de toute initiative: exister comme ceci ou comme cela; de toute originalité: ce sujet là, cette personne unique là. C'est aussi le lieu de toute autorité, à comprendre comme liberté d'être de soi-même dans tel sens, selon telles modalités d'existence (avec autrui et dans le monde).

Ainsi, si on imagine l'Instance, abstraction faite de l'existence (abstraction qui n'est pas totalement possible dans le monde de l'existence), elle est l'ensemble des potentialités de l'homme, mais des potentialités de Sens, de verbes infinitifs, et non d'existence. Celle-ci actualise ces potentialités.

La potentialité n'est pas de même nature que l'actualité. Si l'Instance et ses Sens sont considérés comme puissances, celles-ci ne sont pas une préfiguration de leurs actualisations existentielles. Ces dernières réclament d'autres Instances dont elles seront alors co-existence. Si une Instance existe, son existence n'est pas uniquement sienne, elle est co-existence.

Mais entre potentialités et actualités, il y a la même différence d'ordre qu'entre Sens et réalités, entre Etre et existence. Cette différence d'ordre est une transcendance.

La maîtrise de ces potentialités, le choix parmi elles de celles-ci ou celles-là, les conséquences de ces choix dans l'existence, mais aussi dans l'Instance, voilà la grande affaire de l'Homme. Cette "maîtrise", autant qu'elle est possible et autant qu'elle dépende de lui, demande un type de "conscience" qui est "conscience d'Etre", c'est-à-dire bien autre chose qu'une affaire de conscience d'existence. Il faudra nous interroger sur la nature de cette conscience, les conditions de son accès et ses conséquences. En l'absence de cette conscience, nous pouvons considérer l'Instance comme ce qui est inconscient à l'homme. Tant qu'il n'y a pas conscience d'Etre (partielle) ou conscience de Sens (du Sens par lui-même et en lui-même) on peut dire que l'Instance est l'inconscient de l'homme, non pas un inconscient psychique mais ontologique.

L'Inconscient n'est pas un lieu de refoulement mais un lieu sans conscience de ce qu'il est, alors qu'il est Sens même de l'existence où il se manifeste. Tout se passe néanmoins comme si des Sens majeurs étaient plus difficiles d'accès, et comme refoulés, et en particulier ceux des situations les plus archaïques...

En tout cas, l'inconscience a priori de l'Instance en elle-même, fait que l'homme ne connaît pas d'emblée ce qu'il est fondamentalement. L'homme ne sait pas qu'il est une Instance et pas seulement un existant (ce qui n'est déjà pas toujours évident). Il faut certaines conditions pour l'engager dans une conscience de ce qu'il est, dans une connaissance de soi qui dépasse celle de tous les aspects de son existence et qui tende à celle de son Etre, dans tel ou tel de ses Sens multiples.

L'Homme, en effet, n'est pas seul maître de l'accès à cette conscience d'Etre et aussi à toutes ses conséquences, vérité, liberté, autorité, maîtrise. De ce fait, il lui faut une grâce, ou encore que cet accès lui soit permis grâce à d'autres, tel autre, etc...

La connaissance, conscience des Sens, est bien science des sciences, science de l'Homme, mais de l'Homme Instance et de son devenir.

Nous parlons là de tel homme en particulier, de l'Instance de chacun de nous. Il nous faudra plus loin aborder les relations entre homme-Instance et existence, jusqu'à l'Humanité dans son ensemble. Mais de cette multitude revenons à l'individu, plus précisément au fait, d'abord, que l'existence d'un homme est faite de nombreuses composantes. Or, s'il nous parait évident que cela fait un tout, UNE existence, il faut que cette évidence nous vienne d'une conscience d'Etre le même, malgré cette multitude de parties, de natures, temps et espaces différents.

C'est l'Instance de chacun, sa personne propre, qui peut lui donner cette impression d'être UN individu particulier, permanent sa vie durant, sous ses multiples facettes. Or, nous avons vu que l'Instance est plurielle et non pas UNE. Nous pouvons nous en sortir en considérant que, chaque fois que nous envisageons notre individualité, notre unicité, nous sommes investis dans UNE part de l'Instance qui fonde l'unité de notre existence, ainsi considérée. A chaque fois nous nous voyons UN, mais ce n'est pas le même UN à chaque fois. Cela change si la conscience d'Etre-sens englobe deux ou plusieurs unités d'Etre-existant pour, en définitive, constituer une unité supérieure plus globale. On a ainsi une indication de ce qui peut unifier, à terme, toute l'Instance en UN ETRE singulier: c'est la conscience d'Etre ou conscience de sens. Cependant cela pose le problème de cet UN ultime et nous entraîne alors au delà de l'Instance, vers l'Instant.

 

L'INSTANCE, L'ESPRIT, LA VIE ET L'INTELLIGENCE

 

L'Instance de l'homme est comme son âme spirituelle, une âme qui reste à accomplir certes, mais âme qui anime son existence.

Cette animation de l'existence, on peut l'imaginer comme un souffle invisible qui ferait évoluer une "matière" psychocorporelle. Or l'existence n'est rien sans que le Sens de l'Instance ne s'actualise, en se faisant existence. L'animation se fait, non par application d'un principe à quelque chose d'inerte, mais par actualisation, sorte de concrétisation, de "matérialisation" du principe initial. Il est vrai que cette actualisation demande, comme on aura à l'étudier, la participation d'autre chose que d'une seule Instance: plusieurs autres Instances, un consensus. L'esprit anime en se faisant chair, c'est-à-dire existence. L'actualisation est permanente de même que l'animation dans le moment de l'existence; elle n'est pas une simple impulsion initiale. L'animation de l'existence de l'homme par son Instance, c'est ce qu'on appelle la vie. Elle provient de ses Sens, lorsqu'ils font consensus avec ceux d'autres Instances, alors que par ailleurs toutes les Instances proviennent du même Instant (DIEU).

C'est ainsi que la source vitale de l'homme est son Instance et que, par elle, l'homme existe, à la fois, comme créé par l'Instant et, à la fois, comme descendant d'autres hommes. Mais cette Instance, qui est Sens et Esprit, n'est pas que la source de la vie de l'homme, elle est aussi source de son intelligence et de ses consciences.

En effet, si le Sens est à la source de l'existence, l'appréhension de ce Sens est connaissance essentielle de l'existence par la source. Le Sens est, à la fois, principe de compréhension et principe de vie. Seulement, la compréhension du Sens n'est conscience véritable que si elle dépasse les modalités existentielles de ce Sens, pour l'atteindre lui-même. Communément, ce ne sont que les modalités existentielles du Sens qui sont atteintes par la conscience (formes mentales, intuition, sensibilité), et c'est cela que l'on appelle intelligence (mentale ou sensible). Cette intelligence commune ne correspond qu'à une conscience existentielle où le Sens est comme voilé. Elle n'est qu'une ombre de l'esprit ou plutôt une manifestation existentielle de celui-ci. Cependant, comme la vie, l'intelligence procède de l'esprit mais ne l'est pas. La vie et l'intelligence sont caractéristiques du sujet humain mais, au coeur de celui-ci, réside leur source commune, l'esprit, qui est Sens et Instance de l'homme.

 

LA TRANSCENDANCE DE L'HOMME

 

La notion de transcendance est l'une des plus délicates à intégrer. Selon les auteurs, des différences majeures conduisent à des malentendus importants. Quelques fois, lorsqu'ils parlent de transcendance, certains pensent désigner Dieu lui-même (l'Instant). Or il nous semble très important, d'une part, de ramener ce terme à la désignation d'un certain rapport, rapport de transcendance, et d'autre part, qu'une double transcendance entoure l'homme, ou plutôt son Instance. En outre, il y a souvent des confusions avec le terme d'immanence, qui apparaît quelquefois comme opposé et, d'autres fois, comme complémentaire. Ici, le rapport de transcendance implique une relation nécessaire, entre les deux ordres en rapport. Il est donc exclusif d'immanence. Ce dernier terme n'est utilisé ici, que dans le contexte de l'existence, pour caractériser les corrélations que la conscience y localise.

La transcendance est un rapport singulier, qui n'est pas banal, et qui sous-entend un certain nombre de propriétés qui lui sont intrinsèques et dont nous pouvons développer quelques aspects.

Partant de l'existence d'un quelconque existant, les sciences et consciences communes permettent toujours d'en décrire des aspects, des parties, des composantes. Or, si pour une chose quelconque, nous nous demandons ce qui réunit ces parties pour faire cette chose-là, il nous est difficile de le trouver dans la chose elle-même. Si on isolait ce qui fait la cohésion des parties, une enveloppe, un total, une globalité, on aurait alors une partie supplémentaire et le problème serait déplacé. En poussant l'analyse, on s'apercevrait que l'individualisation d'un existant quelconque, l'unité et la cohésion de ses parties, n'appartiennent pas à cet existant (ni à aucun existant d'ailleurs). Ce qui fait l'unité et la cohésion d'un existant quelconque est un principe transcendant à cet existant. Cela veut dire, déjà, qu'il n'y a aucune mesure commune entre ce principe et l'existant, ni aucune de ses parties. Autrement dit, les principes d'unité et de cohésion des existants restent tout à fait inaccessibles par ce qui existe et, en particulier, la conscience et l'intelligence commune ou même le langage. Ces principes transcendants sont, irréductiblement, indescriptibles dans des termes caractérisant un existant, ou l'une de ses dimensions.

En outre, le rapport de transcendance indique que d'un certain principe, découlent unité et cohésion pour l'existant. Il y a une sorte de don d'unité et de cohésion, pour le moins. Si l'unité de quelque élément que ce soit, provient d'un principe transcendant, rien d'identifiable de l'existant ne peut provenir d'ailleurs que de ce principe. C'est donc la réalité même de cet existant qui provient du même principe qui lui donnait unité et cohésion.

Tout se passe apparemment comme si chaque chose que l'on identifiait dans le monde subsistait par elle-même y compris dans la durée; comme si elle comportait, en son sein, un principe d'auto-cohérence. En fait, le "principe de cohérence" lui est transcendant. Il assure aussi la permanence dans sa durée de vie, de la chose existante.

Bien souvent ce type d'analyse conduit à conclure que le principe transcendant, qui fait exister toute chose, est Dieu. Nous ne pensons pas que cela soit directement vrai, mais indirectement, par la médiation de l'homme Instance.

En effet, qui nous dit que ce paysage que nous contemplons est un? Qui nous dit que ce caillou est un, individualisé d'avec le terrain qui l'entoure? Qui nous dit qu'un quelconque mot écrit ici est un, matériellement et linguistiquement? Personne d'autre que nous-mêmes! L'homme ne connaît les parties et les éléments, comme l'unité, la cohésion et la permanence des choses, que de lui-même. C'est donc en l'homme que réside le principe d'unité transcendant de la chose existante qu'il reconnaît telle. Cela pose alors une fameuse question. Si de l'homme, provient par don et par transcendance, la réalité des choses, ne serait-il pas alors leur créateur tout puissant? Non. Plusieurs obstacles s'opposent à cette thèse.

Si l'existence des choses provient de l'homme, à partir de principes transcendants résidant en lui, cela ne dit pas comment cette existence advient (cf. Théorie de l'existence). Elle n'advient que par consensus avec d'autres hommes, si bien que rien de ce qui existe pour chacun de nous ne dépend exclusivement de lui, mais, en même temps, sa participation au consensus dépend de lui et ainsi sa contribution à l'existence de la chose.

Lorsqu'une chose existe pour nous, elle existe à partir d'un principe en nous qui la fait exister, mais elle existe déjà ou simultanément pour d'autres en consensus. Ce qui est partagé dans ce consensus n'est rien d'autre que le principe transcendant à l'origine de la chose, qui est Sens et Cohérence.

Si pour l'homme, il est possible d'identifier un existant, ce qui réclame un principe transcendant, il est possible d'identifier d'autres existants et même un existant englobant tous les autres existants: le monde. Il y a donc en lui plusieurs principes transcendants à ces existants.

S'il n'en était pas ainsi, le monde serait UN, sans distinction interne, et il serait donc immuable, sans changement ni mouvement. C'est ce qui fait que l'homme, chaque homme, est multiple; d'une part dans la pluralité de son Instance, d'autre part dans la diversité et le changement de son existence et de ses existants.

Ainsi l'unité transcendante, qui préside à l'existence d'un existant, appartient-elle, en l'homme, à une double multiplicité celle de chaque Instance et celle de la pluralité des Instances en consensus. Il n'est pas au pouvoir de l'homme, même dans son Instance transcendante, de donner par lui-même unité à l'ensemble des existants ni même à sa propre existence. Il n'est pas en son pouvoir de donner unité à la multiplicité des "principes d'unités" en sa propre Instance et à l'ensemble des Instances.

Là aussi, est réclamé un principe transcendant aux précédents sans aucune mesure avec eux, mais d'où ils proviennent. Ce principe suprême ne peut être connu, par l'homme, que par le fait que son Instance le réclame comme principe transcendant et inaccessible.

C'est ainsi que les Instances, dans leur multitude et leur diversité interne, procèdent par transcendance d'un Instant qui, lui, est inaccessible et que, d'elles, procèdent par transcendance, à partir de leurs consensus, les existants et le monde, auxquels est inaccessible leur origine par eux-mêmes. Ainsi les moyens existentiels de conscience ne permettent pas d'accéder à leur principe transcendant: l'Instance de l'homme, avec toutes ses Cohérences et tous ses Sens, sinon comme manque principiel (qu'il serait ridicule de nommer néant, sinon comme terme relatif et privatif qui ne voudrait dire que "sans existence").

De même, le moyen dont dispose l'Instance -la conscience de Sens- ne permet pas d'accéder à leur principe transcendant: l'Instant-Dieu, sinon comme manque principiel (c'est-à-dire originel, unitaire et source "substantielle"). Ce ne sont que par ce que l'on appelle des définitions négatives, que l'on peut accéder aux principes transcendants. Il y a pour l'homme quatre perspectives selon les deux transcendances dont son Instance est le coeur.

D'abord vers l'existence:

- une perspective de participation à la coexistence des choses et aussi à sa propre existence et celle du monde, c'est la perspective de l'agir, de la maîtrise, de la liberté, de l'autorité, de la volonté et de l'amour. Dans cette même perspective figurent: l'analyse, la conscience et les sciences se rapportant aux existants.

- une perspective d'élucidation, à partir des existants, pour découvrir l'Instance et ses Sens et donc les principes des existants et l'accès à une certaine maîtrise (liberté, autorité, autonomie de la personne, etc...). Sans cette perspective, ce qui est malheureusement souvent le cas, non seulement l'homme ignore ce qu'il est, la nature de sa liberté, mais surtout ce qu'il a à faire dans le monde et ce à quoi le monde doit lui servir. Il ignore que, sans l'homme, il n'y a pas de monde, pas d'existants, parce qu'il n'y a pas de Sens.

Cependant, si ces deux premières perspectives sont fondamentales pour une réhabilitation de l'homme par la découverte de sa transcendance, pour donner Sens à son existence et à son devenir (qui n'est pas de ce monde), cela ne suffit pas, en particulier pour ce devenir. Cela ne suffit pas à cause du "manque principiel" de son Instance, à cause de la lumière dont la conscience de Sens témoigne en lui.

L'autre transcendance, dont il n'est plus cette fois au principe mais dont il est redevable dans ce qu'il est, lui offre deux autres perspectives vers l'Instant.

- une perspective de création, reconnaissance du don reçu, toujours actuel, de l'Etre-Instance et de l'Etre-UN possible pour l'homme. Cette perspective est celle qui, par la connaissance de son Instance à partir des existants, permet de reconnaître les qualités du don de l'Instant, qualités provenant du donneur, l'Instant, mais qualités qu'il n'est pas, puisque qualités qui ne sont qu'en termes humains, de Sens ou d'existence. Cette perspective est celle qui se prolonge dans l'agir, la participation au monde existant, dans une contribution à l'oeuvre de création du monde, par consensus.

- une perspective de contemplation qui, de l'Instance, cherche et vise l'Instant et, sans pouvoir l'atteindre, s'ajuste à son don de lumière et d'unité, guidant toutes les autres perspectives dans un devenir d'unification et de singularité (autrement dit d'accomplissement de l'Instance dans l'existence pour atteindre, non pas à l'Instant toujours transcendant, mais à l'unité d'Etre-Instance, unité du monde ). Cette perspective est, elle, dans le prolongement de celle du discernement et de l'élucidation des sens qui procède de la même lumière.

Sans cette double transcendance, dont il occupe avec son Instance l'étage intermédiaire qui "relie le ciel et la terre", il ne resterait, à l'homme, qu'à être un spectateur égaré d'une dualité monde / Dieu, ou un accessoire d'un monde-Dieu, ou le déchet d'un couple monde / Dieu, leur rejeton déchu.

La notion de transcendance est intrinsèque à la définition de ce qui, de l'homme, est l'essentiel: son Instance. Les transcendances sont l'articulation même de l'homme avec le monde, d'une part, et Dieu, d'autre part.

LA TRANSCENDANCE DE L'HOMME. Condition de sa liberté, source de toutes pratiques humaines.

Si l'homme n'est qu'un existant parmi d'autres, même équipé d'un psychisme, il n'est qu'un produit de la Nature. La Nature, c'est alors le Monde dans son pouvoir générateur. Si l'homme n'est que le produit de cette Nature, son principe originel d'animation est dans la Nature, et non en lui. De ce fait, rien de ce que fait l'homme n'échappe à la détermination par ce principe. Il n'y a là aucune liberté pour l'homme. Comment pourrait-il prendre une initiative à l'encontre de la Nature; alors que tout en lui est de cette Nature! Parler de retour à la Nature, de suivre sa vraie Nature ou au contraire d'échapper à la Nature, supposerait paradoxalement qu'un principe de Nature générerait un autre principe qui ne serait pas naturel. C'est sur une telle absurdité que se fondent les conceptions les plus banalement matérialistes de l'homme.

Prétendre que, ce qui fait échapper l'homme à cet enfermement, c'est son intelligence ou sa raison, est la source d'une grave erreur. C'est confondre l'intelligence, comme dimension existentielle de l'homme, avec l'Esprit qui en est le principe transcendant, celui aussi de la pensée. C'est confondre le psychisme lui même avec le principe de liberté en l'homme. Il n'y a plus à s'étonner alors des méfaits de la raison, non pas lorsqu'elle est exercice d'une simple dimension d'existence, mais lorsqu'elle prétend être le principe de la responsabilité humaine, de la direction des affaires humaines, des pratiques humaines.

Oui à la raison comme exercice! Non à la raison comme principe de vérité et de liberté! A moins que, par raison, on entende Sens, c'est-à-dire alors effectivement, un principe transcendant à tout ce à quoi elle serait sensée s'appliquer.

La liberté de l'homme réclame un rapport inverse: un monde subalterne et un homme transcendant. C'est la condition, nécessaire de sa liberté, que d'être au principe des existences des choses, en tant qu'Instance transcendante. Cette condition n'est pas suffisante, d'une part, parce que l'existence -notamment la sienne- ne dépend pas de la liberté d'une seule Instance mais de plusieurs, et, d'autre part, cette liberté peut être aliénée lorsque l'homme ignore le lieu de sa liberté, en lui, et s'abandonne au monde et à une Nature fictive, justificatrice de l'abandon.

Si cette liberté se découvre en lui, au lieu même de la vérité de son Etre, de son Instance, de ses sens; l'homme y trouve le principe de sa contribution à faire exister les existants. C'est en agissant sur le principe de ces existants, de l'existence des choses dans le monde, qui est consensus entre les Instances, qu'il peut intervenir dans l'évolution de ces existants. C'est le principe de toutes les pratiques humaines, que de pouvoir agir à la source d'où provient l'existence des choses, seul lieu où ces choses peuvent être modifiées. L'homme ne peut agir dans le monde et sur ce monde que parce qu'il se trouve à son principe et qu'il peut exercer cette liberté. Cependant cette action est liée à ses consensus avec les autres hommes. Ce consensus avec les autres se trouve ainsi au coeur de toutes les pratiques humaines quelque soit leur objet: personnel, technique, culturel ou politique. Encore faut-il pouvoir y accéder librement.

C'est la tâche et l'oeuvre de l'humanité que d'avoir à maîtriser son consensus, c'est-à-dire se rendre maître du monde, non comme un tyran, mais comme un seigneur, participant ainsi au bénéfice de la création.

Ainsi les pratiques humaines, pratiques de vie quotidienne, professionnelles, collectives, etc..., sont-elles directement dépendantes de la transcendance de l'homme, source de toute liberté et de toute responsabilité.

 

III - L'INSTANT

L'Instance est constituée, à la fois, des potentialités d'actualisation dans l'existence pour y former les choses et le monde, et en même temps, des potentialités de devenir de l'Instance elle-même. Ses Sens sont sources d'actualisation et dispositions pour un devenir. C'est ainsi que le devenir de l'Instance s'accompagne d'une existence orientée.

La question de l'Instant se présente d'une façon triple à cette Instance de l'homme:

- celle d'une origine, d'où procède la subsistance de l'Instance,

- celle d'une fin, qui oriente son devenir jusqu'au plus profond de l'existence,

- celle d'un moyen, manifestant en l'Instance une lumière -élucidant par la conscience de Sens, l'origine, la fin et la direction du devenir- la lumière de l'Esprit qui éclaire aussi le Sens des existants et des consensus.

On retrouve là une figure de la Trinité chrétienne du Père, du Fils et de l'Esprit.

C'est par cette présence trine que l'Instant-Dieu est accessible à l'Instance. Connu par sa présence, il reste en lui-même inconnaissable. Transcendant à l'Instance et doublement transcendant au monde, il en est le principe mais n'est exprimable en aucun terme, ni du monde, ni de l'homme-Instance, c'est-à-dire de Sens.

Cependant, c'est de l'Instant qu'adviennent: l'engendrement de l'homme (d'abord en Instance), la diversité et la conscience des Sens dans l'Instance, l'actualisation des Sens en consensus pour faire existence. Cette trinité est aussi la trinité de l'Homme:

- il est existence individuelle, mais coexistante dans un monde commun,

- il est Instance personnelle, mais diverse et inaccomplie,

- il est Etre, (mais seulement en devenir).

Cette trinité est à l'image de la première et, en même temps, elle en découle.

1) L'Instant origine de l'Instance

C'est comme manque principiel, que l'Instance de l'homme peut postuler un principe qui lui soit transcendant. En tant que principe transcendant, il n'a aucune commune mesure avec l'homme lui-même, ce qui le rend inconnaissable. Il est l'origine de l'Instance, tant de son unité potentielle que de sa substance et sa subsistance. En cela, il peut être dit le créateur, et même le créateur de toutes choses, dans la mesure ou les existants procèdent des mêmes Instances créées, selon un processus (l'actualisation d'un consensus) qui est intrinsèque aux Instances créées.

De là, on peut envisager deux perspectives à propos de l'Instant. L'une le considère par ses qualités de créateur selon ce qu'est la création et l'autre le considère en lui-même. De l'Instant, on peut dire qu'il est principe de toutes choses et en décliner les aspects, mais on ne peut accéder à ce qu'est ce principe en lui-même. Il n'est rien de ce qui est, mais il est ce par quoi cela est. C'est par la négative que l'on peut considérer l'Instant, comme l'ont fait différentes théologies. Cependant, à ce propos, si Etre est le devenir de l'homme, l'Instant ne peut être l'Etre, mais celui par lequel l'Etre arrive. C'est comme cela que l'on peut comprendre cette phrase de la Bible: "Je suis celui qui suis", c'est-à-dire, non pas je suis "suis" mais "celui" qui suis, ce d'où l'Etre advient, le "père du verbe" en quelque sorte.

2) L'Instant fin de l'homme, devenir de son Instance L'Instance de l'homme ne possède pas elle-même le principe de son unité, mais, à cette unité elle peut accéder en devenant UN Etre. En quelque sorte, l'homme est en gestation, tant qu'il n'a pas constitué cette unité de son Etre. Si la naissance est l'accomplissement dans le monde d'une gestation existentielle, l'existence toute entière est aussi moment de gestation de l'Instance pour la venue de l'Etre. Seulement, parmi toutes les dispositions de l'Instance, seuls, certains Sens peuvent conduire à cela. On les appellera Sens de l'accomplissement. Les Sens de l'accomplissement orientent l'existence pour la faire servir à cette fin, mais cette fin elle-même ne trouve son repère ultime que dans l'Instant principe d'unité. La liberté de l'homme provient de la multiplicité des Sens de son Instance et donc des devenirs. Cette liberté ne se reconnaît, ne se maîtrise, ne vaut enfin, que si elle permet de choisir l'accomplissement et donc les Sens qui le permettent. Ces Sens sont donc ceux qui tournent l'homme, à la fois, vers sa propre vérité, mais aussi vers ce principe d'unité originel dont le bénéfice peut être obtenu: l'Instant.

Cette fin de l'homme qu'est l'Instant, n'est la fin que de son accomplissement qui, par ailleurs, peut être aperçu comme un départ. Dans son existence, l'Instant constitue, pour l'homme, le repère, dans la perspective duquel, il se connaît et s'accomplit. C'est le rôle du Christ d'actualiser dans le monde ce repère, trine, divinement et humainement parlant.

3) L'Instant éclairant l'homme et le monde

C'est la conscience de Sens qui, en son Instance, procure à l'homme, à la fois la connaissance de lui-même comme être de sens, comme esprit, et la connaissance des existants, dans leur principe transcendant qu'est ce même Sens. C'est elle qui permet à l'homme l'exercice de sa liberté par rapport à l'existence, dans toutes ses pratiques. C'est elle qui lui procure au fur et à mesure de son extension, cette unité qui est unité par conscience de son Instance.

Or, cette conscience de Sens n'est pas le fruit d'un organe de l'Instance, comme le coeur ou le cerveau dans le corps. Elle est le fruit d'une disposition de l'Instance, selon ses Sens d'accomplissement et, d'une illumination qui provient de l'Instant, éclairant simultanément ainsi pour l'homme, pour son Instance:

- son Instance et ses Sens

- les Sens qui sont Sens de consensus avec d'autres,

- le consensus qui s'actualise dans un existant.

Tout se passe alors, pour l'homme, comme si l'Esprit lui venait, venait en lui. On peut le lire encore comme lumière de l'Instant, éclairant l'esprit déjà là, s'il y est disposé. L'esprit de l'homme est son Instance et plus particulièrement ses Sens, que l'on pourrait dire aussi ses esprits. Qu'il y ait, en l'homme, de bons ou mauvais "esprits" est équivalent à ce qu'il y ait de bons ou mauvais Sens. L'Esprit saint est alors certainement l'Esprit ou le Sens sain d'une existence, qui dispose à la lumière de l'Instant -lumière de l'Esprit, Esprit de consensus-, c'est-à-dire Esprit d'amour, lorsqu'il est librement consenti.

La conscience de Sens est ce qui permet à l'homme de s'orienter dans l'existence et de conduire son existence. Elle est aussi sourcée dans l'origine et dans la fin de l'homme, l'Instant. C'est pour cela que par l'Instant et de triple façon, ne peuvent aucunement être dissociés:

- les problèmes de l'existence, affaires de l'homme,

- les questions personnelles de l'Instance de chacun,

- les questions d'accomplissement pour devenir Etre.

Ils ne peuvent être dissociés lorsque l'homme est dans le Sens d'une telle considération. Par contre, s'il emprunte d'autres voies, dans d'autres Sens, cette trinité éclate et l'homme se perd.

C'est là le mystère d'une trinité, tant divine qu'humaine, que d'être la condition de l'unité de l'homme à partir de l'UNIQUE INSTANT.

EXTRAITS

 


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