LA NOTION DE QUALITE
La notion de qualité se rapporte toujours à quelque chose même s'il s'agit quelques fois de l'homme lui-même. On parlera de la qualité ou des qualités de cette chose. La qualité est ce par quoi la chose est reconnaissable. C'est une indication de reconnaissance.
Cependant selon la façon de reconnaître les choses, leur "qualité" prend un sens très différent.
a) Tout d'abord la reconnaissance d'une chose peut être opérée par similitude. Du même coup la qualité d'une chose c'est sa conformité à une référence extérieure et qui s'évalue par comparaison. La qualité d'une chose c'est ce à quoi elle ressemble, c'est donc une question d'apparence et de présentation. la qualité est ici une notion superficielle, esthétique. Elle ne définit que la manière d'apparaître d'une chose. La chose elle-même reconnue par ses qualités est définie par ses apparences en comparaison avec des références préétablies. Elle ne peut ainsi avoir qu'une définition extrinsèque. Qualifier, c'est alors repérer par comparaison à une classe, un type, une catégorie, un modèle, une norme. Cela revient à pouvoir attribuer un titre, une étiquette qui nomme la qualité de référence.
Est vert ce qui est (apparaît) comme la classe de couleur "vert",
Est beau ce qui est (apparaît) comme le type de ce qui est dit beau,
Est lourd ce qui est (apparaît) comme similaire à la catégorie du lourd.
Ce qu'est une chose reconnue ainsi n'est qu'un ensemble de signes, affectés par référence, sans que l'auteur de la comparaison ni qu'une nature propre intrinsèque de la chose ne semblent participer au processus.
b) C'est à l'inverse un autre sens de la notion de qualité qui y renvoie.
La qualité d'une chose, c'est maintenant sa manière d'être spéciale, en propre, elle est "ainsi" et non "comme ceci". La qualité est détermination intrinsèque, elle désigne ce qu'est la chose au travers de sa façon d'exister. On pourrait dire que la qualité d'une chose, c'est son existence même, la signature de ce qu'elle en est propre.
Cependant puisqu'il ne peut s'agir que de la reconnaissance de la chose, la qualité est donc le fruit de cette reconnaissance. Qualifier une chose, c'est la déterminer, mais c'est l'auteur de la détermination qui la détermine. C'est une prise de position personnelle (éventuellement partagés) qui constitue la qualification. Les attributs déterminants que sont les qualités d'une chose sont attribués avec détermination. Ainsi, la qualification intrinsèque d'une chose la fonde dans le même fondement que celui qui qualifie, le fondement de la détermination. L'acte de qualification n'est pas une recherche de référence mais une détermination d'autorité.
Dire "ceci est un vase" est la conclusion d'une considération personnelle qui statue sur ce qu'est cette chose présentement, c'est la qualifier que lui donner la qualité de vase. Rien ne dit d'ailleurs que cela "ressemble" à la catégorie des vases (sens inverse) mais à ce que cela sera dorénavant pour celui qui le déclare. C'est un engagement de sa part.
Dans cette perspective, la nature intrinsèque des choses dès qu'elle est qualifiée n'est rien d'autre que la nature propre engagée de celui et ceux qui la qualifient ; qu'ils l'avouent ou non. Il y a là une question d'éthique. La qualité désigne la chose "en soi"", autrement dit le "quoi" et le "qui" sont présents dans le "quel".
Ces deux sens opposés n'épuisent pas les possibilités et nous allons en envisager d'abord deux autres déterminants ainsi quatre sens d'une carte de cohérence qui nous aidera à en situer bien d'autres par leurs combinaisons.
c) Tout d'abord on peut maintenant reconnaître une chose par sa valeur, son apport ou sa contribution à une amélioration, à une progression. Qualité sous entend "bonne qualité". une bonne qualité est alors une faculté de quelques chose, sa capacité de contribution à une progression humaine. C'est autrement dit une vertu de la chose. Une vertu est une possibilité de "grandir", humainement parlant, c'est-à-dire devenir meilleur.
La reconnaissance des qualités de quelques chose est donc le discernement en cette chose d'une faculté de contribuer à un progrès humain. La chose illustre par ses qualités les valeurs humaines, celles qui le rendent plus humain. Les qualités des choses sont donc des qualités humaines. Une "bonne" chose est une chose qui contribue au bien de l'homme, c'est-à-dire à la rendre bon.
Reconnaître une qualité, c'est apercevoir dans une chose une valeur de l'homme, pour l'homme, la qualité d'une chose dans ce sens est donc une vertu pédagogique, édifiante ou éducative. C'est par ses qualités qu'elle est humainement significative. Qualifier consiste à la fois à discerner une valeur dans une chose et dans l'homme et aussi à améliorer la chose en améliorant l'homme simultanément.
Ce qu'est une chose est ici la part qu'elle prend au progrès humain, ce par quoi elle est reconnue, ses qualités. Autrement dit l'homme est ici mesure de la chose dans l'accomplissement de son humanité.
d) A l'opposé la qualité d'une chose sera à la mesure d'un manque, d'une défaillance humaine. C'est ce qui vise à combler une vide, une absence. La qualité est compensatoire. C'est la marque d'un défaut à compenser. Une chose est reconnue comme venant éviter une défaillance et sa suffisance à cette fonction est ce que l'on reconnaîtra comme qualité. C'est un constat. L'eau est désaltérante, c'est sa qualité de comblement d'une altération que l'on appelle la soif. On fera alors comme si être désaltérant était une définition de la chose eau. Si une chose remédie à un mal, sa qualité de remède est reconnue occultant le fait qu'elle ne l'est pas autrement que pour le mal.
Dans cette perspective les choses sont définies en tant que moyens d'une compensation, à la mesure du besoin primaire, du manque, du vide, du défaut, de l'avidité à combler. C'est un signal de régression humaine où la pression du besoin fait la mesure de la qualité de la chose qui pourrait le satisfaire et la reconnaissance de la chose elle-même. Elle est le positionnement d'un négatif, la meilleure chose est celle où le positif annule le négatif où l'on en a pour son compte.
Cette version de la qualité des choses s'accompagnera de mesures comptables quantitatives pour compte d'équivalence entre le prix et la qualité. La qualité est convertible en toute chose équivalente au même compte, à la compensation du même vide. Son appréhension est de nature critique. Elle procède de la recherche du défaut, c'est-à-dire de l'insuffisante compensation donc de l'imperfection obligatoire de la qualité de la chose oubliant qu'elle n'est ainsi que par excès du défaut ou du besoin.
Cette perfection de toute chose de cette qualité là est inhérente à l'incapacité d'assouvrir définitivement les besoins, de suffir aux défaillances, de combler les vides. Cet assouvissement contribue à en renouveler sinon exacerber le besoin et à renforcer l'exigence indéfinie de qualité. La qualité d'une chose est alors le signal d'un vice, son constat déplacé sur la chose. La qualité de la chose est la mesure inverse du vide qu'elle devrait combler ou compenser.
Parmi l'infinité des sens de cette notion, lisibles autour du centre de la carte, on en examinera quatre dans ce qu'on appelle les champs de la carte de cohérence définie par les axes précédents.
(1) - Dans ce premier sens, reconnaître une chose c'est en faire une bonne interprétation.
Cela consiste à trouver une comparaison humainement valable. Cela revient à reconnaître la ressemblance de la chose à un modèle idéal. La qualité d'une chose est sa proximité d'un idéal qu'elle représente. C'est donc une perfection. La chose est appréciée par ses perfections, c'est-à-dire son identité à une modèle idéal. la qualité reconnue dans la chose est reconnaissance de la qualité de celui qui l'a par identification d'image. Elle se mesure à son effet de séduction et donc de plaisir narcissique. La qualité est une représentation d'esthétique vertueuse. Elle plaît ou plutôt elle complaît.
Une chose est ce qui émeut et motive par sa qualité de plaire, par "interprétation" ou représentation réciproque de l'homme et de la chose, miroir. la qualité est donc à la mesure de l'admiration de l'homme -une belle représentation idéale ou imaginaire, une idéalisation.
(2) la qualité est ici une perversion, une tromperie, une inversion, un mensonge ou encore une illustration. La qualité est illusoire dans la mesure où elle promet l'inverse de ce qui est, qu'elle leurre, qu'elle piège. La mesure en est l'efficacité à prendre (au piège). C'est l'effet produit, effet captivant de capture. La qualité d'une chose est l'illusion qu'elle suscite par référence à quelques chose de ressemblant qui réveille un manque qu'elle promet ainsi de combler. C'est donc un simulacre dont la qualité est dans l'efficacité de la mystification.
La chose elle-même est définie dans l'effet d'apparence, effet d'empirisme sur l'homme, effet de fascination ou de tentation.
Qualifier une chose c'est se faire des illusions, tromper et se tromper. On dira alors que "la chose" est trompeuse, ou que la qualité est trompeuse. C'est en fait un faux semblant mais il n'y a ici que l'efficacité d'une drogue ou d'une esthétique vicieuse et dégradante.
(3) - Dans ce sens la reconnaissance d'une chose procède d'un jugement impérieux. la qualifier, c'est la dénoncer de la façon dont on parle d'un délit qualifié.
la qualité est déterminante mais ici en rapport à une nécessité qu'elle remplit. Il s'agit donc d'une qualité nécessaire, utilitaire.
La qualité c'est ce qu'il faut, la chose est ce qu'elle doit être. Il y à là un absolutisme qui renforce la détermination. De ce fait la qualité est ce qu'est la chose intrinsèquement en elle-même. C'est un fait. Il s'agit d'une perspective matérialiste objectiviste en ce sens que la qualité est une spécification objective de la chose. La mesure de la qualité est l'écart par rapport à ce qu'elle doit être et la qualité parfaite l'absence totale de défaut.
La réalité de la chose confondue avec ses qualités est une reconnaissance fondée dans le manque et le besoin pris comme nécessités. Le jugement les impose à la chose comme si elle était nécessaire en elle-même. Par exemple dire qu'un objet doit être de telle qualité, solidité, précision, etc... c'est escamoter le fait qu'il s'agisse d'un jugement et en définitive d'un arbitraire. il n'y a que si est reconsidéré l'autorité de la détermination et la signification humaine de celle-ci que l'on sort de l'arbitraire (4). L'utilité ou la fonction de la chose non rapportée à ces significations, n'y changeraient rien. Il est à souligner que la qualité nécessaire est sensée s'imposer à l'homme, aliéné nécessaire.
(4) - La détermination de la chose par l'homme est associée au discernement de sa valeur humaine. De ce fait, la reconnaissance de la chose est reconnaissance de soi. La qualité de la chose révèle la qualité humaine ou l'annonce. La chose est ainsi le vicaire de l'homme. Elle existe selon des qualités significatives de l'humanité de l'homme. La qualité est le mode existentiel du(s) sens, SENS des choses qui sont SENS de l'homme. La reconnaissance procède par élucidation, conscience des SENS. Elle révèle l'authenticité de la chose fondée en l'homme dont elle témoigne. La reconnaissance de la chose est qualification tant de la chose que de soi. Cette qualification est simultanément disposition d'autorité, personnalisation et progression de l'homme, autrement dit accomplissement.
L'accomplissement de la qualité dans la chose contribue à l'accomplissement de l'homme, c'est pour cela qu'il se qualifie -devient meilleur en devenant lui-même, en qualifiant les choses dans le faire et le connaître.
La qualité est pour la chose comme pour l'homme le témoignage existentiel de l'être - en l'homme.
Ces différents sens de la notion de qualité révèlent en même temps différentes façons d'appréhender ce qu'est une chose. On pourrait en effet pousser l'analyse sur le plan philosophique découvrant ainsi des positions très différentes sur ce qu'est la réalité des choses, du monde, de l'homme dans le monde. Du même coup il serait particulièrement intéressant de considérer les discours et les pratiques se référant à la qualité pour en élucider le sens. On comprendrait alors le pourquoi et le comment de cet intérêt pour la qualité et à quoi il mène selon son sens.
Il y a d'une façon un enseignement à en tirer sur une question particulière :
Quels sont les méthodes ou procédés par lesquels s'appréhendent les choses et quels en sont les résultats pour l'homme ? Cette question est très importante pour tout le champ des sciences, de l'analyse, ou des connaissances tant qu'elles s'appliquent à des choses, c'est-à-dire à les reconnaître par l'appréciation de leurs qualités.
On examinera particulièrement les procédés qui correspondent aux sens précédemment envisagés :
L'interprétation, l'illusion, le jugement, l'élucidation.
Les deux premiers sont formels alors que les deux derniers sont plus essentiels. Les deux du haut sont procédés de conscience, d'intelligence des choses alors que ceux du bas sont procédés critique, c'est-à-dire détection indirecte du mal soit dénoncé dans le jugement, soit masqué dans l'illusion.
L'interprétation, procédé classique se révèle comme identification à un modèle (théorique ou autre) ce qui n'est pas surprenant. Cependant on aperçoit en plus le rôle majeur de la "complaisance" de celui qui interprète. Il interprète comme cela lui plaît. Même si ce n'est pas tout à fait une découverte cette généralisation permet de comprendre la validité très relative des interprétations, mais aussi l'attachement suscité par leur séduction. Il y a du plaisir à donner une interprétation, plaisir d'une image idéale de soi.
A l'opposé, le jugement est une engagement, une prise de position, mais affecté à une chose comme si le jugement n'était que le constat de ce qui est prédéterminé dans la chose. Le jugement dénonce, il réduit la chose au verdict et celui-ci, bien que proféré par un homme, est prétendu vérité de la chose en elle-même. Celui qui juge ainsi dénie sa subjectivité, véritable source de son appréciation de nécessité, alors qu'elle est la seule substance ou consistance du fait déclaré. Celui qui juge en arrive à se faire (sans le dire) garant de l'absoluïté de son jugement qu'il pourra éventuellement qualifier de "légal", "divin", "scientifique", "objectif" ou "dévident". Il se confond ainsi avec un absolu dont il s'attribue le pourvoir.
Le jugement s'oppose à l'interprétation, ce sont deux démarches inverses qui se taxeront mutuellement de réalisme et d'idéalisme.
L'illusion est un procédé aussi courant qui consiste à masquer une défaillance par une fantaisie imaginaire compensatoire, choisie dans un registre opposé au réel. L'illusion est mensongère. Elle peut sembler cependant sincère par ignorance. Elle est une démarche d'ignorance active pour soi, mais aussi pour ceux qui y participent. Se mentir à soi-même c'est se perdre de vue et fabriquer une vision falsifiée de soi et des choses en contrepartie. L'illusion conduit à vouloir passer pour ceci ou cela - choisi dans le catalogue des modèles inverses de ce qui est. L'impuissance se déguise en puissance, l'ignorance en science, et tentent d'en jouer le rôle dans une mascarade où se prendront tous ceux qui sont aussi défaillants et d'autant plus crédules. Les "sépulcres blanchis" occupent bien des scènes du monde où ils règnent sur un océan d'ignorance entretenue, source de leurs pouvoirs vains et illusoires.
A l'opposé l'élucidation est un procédé de connaissance. Elle est reconnaissance déterminante du sens en soi, des choses. C'est un procédé de révélation. La chose annonce et la disposition de l'homme la lui rend révélatrice, d'elle comme de lui. Il s'y reconnaît dans les choses. L'élucidation n'est pas une question d'apparence comme l'interprétation qui va identifier une réalité à un modèle (com)plaisant. Ce n'est pas une question de fait que va dénoncer le jugement. C'est une question d'authenticité personnelle, de quête de la vérité de l'homme par le moyen de la chose, révélatrice parce que témoin de l'homme qui la considère. L'élucidation va au delà de l'existence de la chose pour atteindre à son sens dont le seul lieu est l'être de l'homme. L'élucidation des choses atteint ainsi à l'être de l'homme en sens sens. Cette voie de l'élucidation est celle de l'accomplissement de l'homme profond et de son renouvellement.
Ces quatre procédés aux enjeux si différents et si considérables sont ceux qui constituent nos appréhensions des choses les plus communes, celles de la qualité par exemple.
Quelle qualité ? Pour quels enjeux ? Par quels procédés ?Voilà des questions qu'il ne faudrait pas esquiver.
Il y a un autre chapitre à développer à ce propos, ce sont ses significations humaines et les attitudes ou finalités qui les accompagnent. Cela rejoint la question du sens du rapport aux choses pour l'homme dans la considération des qualités.
On notera sur les cartes ci-après trois registres éclairants des situations humaines réelles et des projets qui les sous-tendent.
(1) les enjeux - (2) les mobiles - (3) les valeurs
ROGER NIFLE 1984