Panneau d'information - Accueil du site - Télécharger le texte au format PDF - Adobe® Acrobat® Reader
REUSSIR LA DECENTRALISATION
La deuxième conditionRoger Nifle Septembre 2002 Les observateurs éclairés ont bien perçu comment le "mouvement du monde" et l'attitude de l'Etat français vis-à-vis du territoire divergeaient.
Une première analyse montre que le mouvement d'ouverture à la mondialisation s'accompagne d'une recherche de plus grande autonomie des personnes et des communautés humaines.
A la différence de l'individualisme qui s'accommodait d'une société encadrée intellectuellement, moralement, administrativement, l'autonomie qui émerge est d'un autre ordre. Elle s'assortit d'esprit d'initiative, entreprenant, d'esprit de projet et aussi d'une plus grande responsabilité vis-à-vis des affaires communes, "citoyenne" si le mot n'avait pas été si galvaudé.
C'est pour cela que le territoire ne doit plus être vu comme un simple découpage administratif qu'il s'agit d'administrer: Ordre public et gestion des choses.
Si, dans cet esprit nouveau, les communautés territoriales de tout niveau sont considérées alors le politique reprend Sens. Il se réfère à la cité, c'est-à-dire non pas seulement la ville mais la communauté, une communauté de devenir, une unité politique dont on peut envisager le bien commun et aussi la participation à d'autres communautés de communautés.
Les assemblages communautaires n'appartiennent pas à la même logique d'inclusion exclusion que les découpages territoriaux. Une communauté politique peut être formée de communautés politiques (ex : Communautés inter communales) et participer à des communautés plus larges (département, région, nation, Europe, monde...). C'est vrai à toutes les échelles.
La décentralisation telle qu'elle se présente aujourd'hui vise à redonner aux collectivités et singulièrement aux régions les bases juridiques d'une plus grande autonomie rejoignant ainsi bien d'autres pays qui ne sont pas abîmés dans le chaos pour autant.
Il faudrait un bien grand mépris des français (l'exception culturelle ?) pour affirmer que cela ne peut pas marcher en France sans l'emprise tutélaire de l'Etat. Et pourtant, c'est la théorie implicite qui régnait jusqu'ici. Il est vrai que l'Etat est alors une entité à géométrie variable. Tout le monde parle au nom de l'Etat, se dit l'Etat.
La distinction est à faire entre un Etat de service, (service des personnes et des communautés humaines et non pas service du service public ou service de l'Etat s'arrogeant d'incarner le "bien commun universel" dit l'intérêt général) d'une part et un Etat tutélaire qui pense, qui sait, qui réglemente - juge et partie - d'autre part.
Dans un pays de Raison et de Droit la condition juridique, constitutionnelle, législative, réglementaire parait incontournable. C'est l'oeuvre entreprise dès maintenant. On peut penser qu'elle prépare une restructuration fondamentale, redéfinition des rôles des uns et des autres, redéploiement des "compétences" et des finances.
Cependant si cette condition est nécessaire, elle n'est pas suffisante.
En effet depuis combien de temps l'attitude de l'Etat est-elle là même? plusieurs décennies, plusieurs siècles?En tout cas c'est le pays tout entier et ses représentants politiques qui, sur le terrain, vivent sous ce régime. La normalisation comme condition d'unité. La tutelle de l'Etat comme condition de l'ordre et du bien public.
Si l'ouverture au monde, à l'Europe par les échanges, les communications, les déplacements ont permis d'autres conceptions, l'immense majorité du personnel territorial a été éduqué, formé, formaté dans ce régime.
Il faut donc prendre garde au fait que nombre de représentants politiques, locaux et territoriaux ne savent pas penser ou agir sur leur territoire en dehors des procédures de l'Etat. Y a-t-il eu récemment un mouvement d'intercommunalité spontané en dehors des lois récentes? La Datar constate que ni les pays ni les communautés d'agglomération n'ont su se doter d'un véritable projet. Les régions, pour beaucoup (sauf exceptions) n'ont pas su résoudre le problème de leur identité collective. La prospective territoriale est dans l'ensemble d'une grande faiblesse.
Le grand jeu a trop souvent consisté à mettre en scène l'incompétence des politiques locaux (ou pire) démontrant ainsi le caractère indispensable d'une telle de l'Etat qui ne disait plus son nom. La dépendance intellectuelle, technique, financière, administrative favorise la perpétuation de ce scénario. Combien d'études l'Etat a-t-il financé sous réserve d'en tenir le contrôle?
Les projets et politiques territoriaux sont encore conçus comme l'application de procédures administratives. Il est par exemple patent qu'en l'absence de toute expérience, les problèmes d'urbanisme, d'habitat, de déplacement son renvoyés à un futur SCOT au lieu d'entreprendre de penser les problèmes et des solutions nouvelles.
Les élus qui s'y exercent sont démunis, le personnel des services territoriaux et les bureaux d'études extérieurs sont souvent formés au conformisme technico-administratif, pas à l'initiative, à la créativité, à l'autonomie. De ce fait des questions de fond ne sont presque jamais traitées.
- Comment une collectivité territoriale forme-elle une communauté humaine, une communauté de destin, une communauté de projet ?
- Comment se constitue une identité collective (non plaquée) à partir d'une histoire telle qu'elle est, tant pour l'interne que pour l'externe.
- Comment des communautés territoriales de différents niveaux se conjuguent-elles pour former d'autres communautés (communautés de communautés).
- Comment des communautés territoriales gèrent-elles le champ de leurs relations extraterritoriales.
- Comment identifier, qualifier,l'originalité culturelle, les potentiels, la vocation propre à chaque communauté territoriale.
- Comment articuler identité et projection dans l'avenir (projet). Sens du bien commun et ambition communautaire, politiques communautaires et gouvernance?
- Comment intégrer, enfin la mutation de civilisation dans laquelle nous sommes engagés au travers de multiples crises de passage qui touchent tous les secteurs de la vie collective.Toutes ces questions mettent en évidence deux obligations :
- L'une est la constitution d'une pensée nouvelle du politique et des communautés territoriales assortie des méthodes et des pratiques appropriées.
- L'autre est la formation du personnel politique et technique en charge du bien commun à une approche plus éclairée des phénomènes communautaires et aux méthodes de l'action publique s'appuyant sur "l'intelligence collective" et les dynamiques communautaires.
La première obligation trouvera avec les concepts et les méthodes de l'humanisme méthodologique matière à alimenter la réflexion et l'action.
La seconde est justement la deuxième condition de réussite de la décentralisation.
En effet si les mêmes réflexes mentaux, les mêmes modèles intellectuels, les mêmes conceptions de l'action perdurent alors il n'y aura toujours pas de projets territoriaux et les représentants politiques des territoires en viendront à susciter le rétablissement d'un "ordre des choses" auquel ils ont été formés.
Réagir aux excès de l'Etat dans un monde en plein mouvement ne suffit pas à établir une "compétence politique" qui ne peut se résumer à l'appropriation des prérogatives, modèles et savoir-faire de l'Etat mais exige de s'inscrire dans les conditions nouvelles du monde d'aujourd'hui et de demain.
Etre visionnaire, saisir les profondeurs de l'âme communautaire, savoir imaginer le positionnement, la vocation originale d'une communauté territoriale, le traduire en ambition et en projet partagé, mobiliser les dynamiques humaines dans le Sens du bien commun et ce dans tous les secteurs de la vie collective telles sont les exigences qui conditionnent la réussite de la décentralisation pour ce pays. Le chantier est encore devant nous.
Panneau d'information - Accueil du site