AUTORITE POLITIQUE ET COHESION SOCIALE
UNE QUESTION DE CONSENSUS
La crise du politique est l'un des symptômes d'une crise de civilisation plus générale. Le monde change et les responsables en semblent plus les spectateurs étonnés que les organisateurs avisés. Il est remarquable que les citoyens paraissent de plus en plus désabusés, ce qu'ils manifestent notamment par un certain abstentionnisme et que, simultanément, les faits et gestes des hommes politiques font toujours l'objet d'une grande attention dans le public.
Il faut comprendre que les responsables politiques occupent (malgré eux quelquefois) une place de référence. Ils sont toujours des repères d'autorité qu'ils soient encensés ou dénigrés.
Notre monde a bien souvent été aux prises avec la question du pouvoir et celle de la démocratie. Il s'agit dans les deux cas d'un rapport entre l'Autorité politique et la collectivité des citoyens, rapport conflictuel, rapport de défiance ou rapport de confiance.
La violence qui a accompagné ces débats que ce soit sur le plan de l'action (révolutionnaire ou réactionnaire), sur celui de la pensée (idéologique) ou même sur le plan métaphysique (spirituelle ou existentielle) a rendu tabou la question et, au mystère,fait préférer toutes les mystifications.
Or s'il y a bien une question qui mérite un nouvel examen c'est bien celle de la racine commune de l'autorité de l'homme politique et de la cohésion de la communauté et donc du lien social.
On a cherché du coté d'une relation formelle avec le système démocratique, on a usé et abusé de la relation affective ou d'amour-haine. On louche vers une hypothèse économiste où l'échange des biens matériels et la capitalisation des moyens de productions donneraient réponse à tout. On a imaginé en définitive les différents aspects du mode d'exister de l'homme en société.
Il reste néanmoins une lecture nouvelle aussi bien que traditionnelle, c'est l'approche symboliste (Le symbole était à l'origine un anneau ou une pièce de bois partagé entre deux personnes pour leur servir de signe de reconnaissance ou d'amitié).
D'une certaine manière l'homme politique est l'élu lorsqu'il incarne le lien social qui permet la cohésion de la communauté. Il est le représentant symbolique visible de l'alliance invisible entre ses membres.
La Théorie des Cohérences Humaines éclaire d'un jour nouveau cette question. Elle propose pour cela une clé : le SENS des CON-SENSUS comme investissement de la personne humaine dans le fait communautaire.
S'il y a un lien entre les hommes d'une société, il est inhérent à la nature humaine. De ce fait, les modalités de l'existence commune sont de même nature que celles de l'existence individuelle -affective, imaginaire, comportement... qui font l'objet des préoccupations politiques. Cependant si la nature humaine profonde est SENS alors le lien du collectif est con-sensus (inconscient le plus souvent). C'est à ce niveau que l'apport de l'anthropologie "Cohérences" est décisif.
Il ne s'agit pas là d'en justifier les positions théoriques mais d'en tirer les conséquences pour l'éclairage du politique.
Notons d'abord que si le lien social profond est sens alors il est vecteur significatif, dynamique, sensible, logique, directionnel, etc... En définitive toute communauté humaine se forme autour de plusieurs sens parmi lesquels le meilleur constitue sa vocation : Sens ou voie d'un accomplissement commun.
Le lien social n'est pas purement formel (structurel) ni purement factuel (appartenance/exclusion), il est vecteur orienté.
Chaque communauté humaine a ainsi une vocation qui est le meilleur Sens de son CON-SENSUS et qui fonde la Cohérence de son organisation et de son développement.
Si elle est envisagée dans son meilleur Sens (celui de ses meilleurs valeurs et potentialités) toute communauté humaine se définit non comme Etat mais comme Devenir.
Il y aurait à méditer à ce propos sur la maîtrise des Etats-Nations à laquelle substituer celle des Nations en Devenir ou encore en projet.
Si le projet d'accomplissement de la cité est ce qui exprime le mieux le lien de Sens qui est sa vocation , alors les citoyens s'y retrouveront car, par le consensus c'est leur propre Sens qui y est investi. La vocation des personnes et celle de la cité concourent alors "naturellement" s'exprimant par la "concourance" des projets réciproques.
Le coeur de la communauté est au coeur de l'homme, Sens en con-sensus.
Alors l'élu politique se retrouvera possiblement l'élu du coeur de la cité ou de la nation. Le coeur n'est pas ici simplement celui de la sensibilité mais surtout le centre de l'homme et de la communauté !
C'est pour cela que l'homme politique occupera une place centrale comme témoin élu du centre.
Mais ce centre on l'a vu est un vecteur, un Sens . De ce fait, ce qui justifie l'homme politique ce n'est pas le fait d'être élu, de représenter une opinion ou un vote. Au delà de tout cela (et au travers) ce qui justifie l'homme politique c'est d'incarner le Sens de la vocation de la cité.
En cela, il "répond" de ce Sens ce qui signifie en être responsable. C'est par là qu'il joue un rôle de repère.
Etant celui qui incarne par sa parole et ses actes et par toute sa personne le lien social, la vocation de la cité, le Sens du consensus, il peut s'inscrire dans une reconnaissance réciproque ; Responsable politique/citoyen.
Mais pourquoi lui plutôt qu'un autre, pourquoi celui-là plutôt que tous ceux qui se retrouvent dans le même Sens ?
Il y a, bien sur, tous ceux qui vont chercher quelqu'autre consensus que le meilleur, jouant démagogiquement sur les faiblesses humaines communes plutôt que sur la responsabilité d'un devenir partagé.
Il y a aussi tous ceux qui, dans leur discours, leur sensibilité ou leurs actes se trouvent en harmonie avec le mouvement de la cité.
Mais le responsable politique, l'élu (quelque soit la médiation qui le fait reconnaître) apporte encore autre chose c'est le vouloir .
Etant par toute sa personne porteur du Sens du consensus, il s'y trouve comme consacré et comme la source même du "vouloir" se tenir dans ce sens. Il se fait comme l'Auteur du "projet-lien social", du "projet-vocation, du "projet-accomplissement commun",du "projet-consensus", c'est à dire du "projet politique". C'est en se faisant comme l'Auteur du projet politique de la cité qu'il fait Autorité et que sa position s'érige en repère ; repère d'Autorité et de Responsabilité parce que de Sens engagé.
Le projet politique justifie l'Autorité de l'homme politique, confirme sa responsabilité et le fait reconnaître comme l'élu : celui qui saura révéler et impulser le Sens de la Vocation de la Communauté.
Il y a là toute une mathématique du Sens qui fonde une science et un art du politique que l'on peut reconnaître, malgré tout, derrière bien des déguisements idéologiques ou empiriques. Cependant si le Sens est la clé du politique parce que substance même de la nature humaine, lien social, vecteur d'accomplissement, vocation commune, il faut insister sur le fait que les consensus sociaux ont comme les hommes bien des Sens en eux, les pires comme les meilleurs.
Ainsi l'Autorité de l'homme politique fondée sur son engagement responsable suppose discernement du meilleur sens et prise de position exigeante et renonçante.
Il est le "premier" d'entre ses concitoyens à éprouver cette vertu, ce qui fait toute la noblesse de son rôle mais aussi toutes ses tentations alimentées par une complicité active ou passive de la communauté.
Sous prétexte qu'elle refuse d'être démagogique l'Autorité du politique n'en devient pas forcément pour autant arbitraire ou autoritarisme. Si elle est l'expression singulière de la position personnelle intime de l'homme politique, elle n'existe que si elle répond du devenir propre de la communauté donc si elle est démocratiquement établie.
Il ne s'agit pas là non plus de confondre démocratie et opinion publique, volonté populaire et projet politique. En définitive, l'Autorité politique se fonde dans le vouloir de l'homme politique et s'établit par le pouvoir que lui confère la communauté.
S'il y a cohérence (unité de Sens) entre le vouloir de l'un et le pouvoir de tous alors il y a élection, c'est-à-dire confirmation du consensus.
Roger NIFLE
Janvier 1991