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POURQUOI L'AGE DU
VIRTUEL
EST-IL L'AGE D'HOMME
?
Pour beaucoup internet, le virtuel c'est le comble de l'abstraction,
de l'irréel, de l'isolement, de l'inhumain.
La presse s'en fait l'écho, avec quelle complaisance :
néonazis, terroristes, pédophile et maintenant
trafic de médicaments, trafic de drogue, sectes en tous
genres, aliénation culturelle. Ceux qui reçoivent
ce message, complété par le thème de l'absence
de loi, le pillage et l'invasion, nous avons tous les thèmes
de la paranoïa ordinaire. Celle-ci témoigne d'un
profond sentiment d'impuissance et génère intégrismes,
chasse aux sorcières, boucs émissaires.
Malheureusement dans de telles périodes, la conscience
collective est souvent obscurcie et ne voit plus ce qui se passe
et il lui est arrivé de ne se réveiller qu'après
les exterminations, seulement au moment des bilans.
Or, nous sommes dans ce moment charnière où le
passage se fait à un nouvel âge de maturité
humaine et où beaucoup des puissances d'avant se sentent
disqualifiées, impuissantes devant l'avènement
d'une nouvelle étape dans la découverte et l'engagement
de la liberté humaine. C'est ce qui explique que la pression
anxiogène qui aliène s'exerbe plus que l'éclairage
pédagogique qui libère.
Nous en sommes à cet extraordinaire moment où l'humanité,
lourde de tous ses travers et ses richesses, progresse dans une
mutation décisive. Ce n'est pas la fin de quoi que ce
soit, ni même du pire mais un franchissement véritable
se produit. Il a été tant attendu en ce siècle
que lorsqu'il vient, il dérange le confort de l'attente.
C'est pour cela que l'issue heureuse est considèrée
comme une malédiction par beaucoup.
Or, c'est bien un âge d'homme qui se dessine, rappelons
ces racines des mots Worl et Welt dérivés de WIR
par WEAR-OLD et WER-ALT, VIR étant à la racine
de virtuel. (Dictionnaire des racines des langues européennes
de R. Grandsaingnes d'Hauterive, Larousse 1948)
Pourquoi âge d'homme ?
Des deux racines homo et vir, la première a prévalu
faisant du monde la matrice de l'homme. L'autre racine vir fait
du monde la "réalité virtuelle" de l'homme,
c'est-à-dire le témoignage de son humanité
qui le découvre comme sujet intentionnel, "réalisant"
par cela le "monde".
Si la progression se traduit par cette découverte qui
peut enfin être assumée, elle ne coïncide pas
avec un quelconque angélisme puisqu'elle révèle
aussi la profondeur de l'abime humain et toutes les dimensions
qui font la condition humaine. Mais les reconnaître et
s'en connaître responsable, c'est déjà le
début de la responsabilité.
Mais comment accepter un tel propos qui jette du même coup
une interrogation critique sur les humanismes ou sentiments d'humanité
qui ont prévalu.
C'est la théorie des âges qui peut nous éclaire
à ce propos.
L'âge initial est l'âge archaïque
, prénatal, préhistorique, c'est un âge où
règne l'affect et la confusion qui précède
toute distinction, toute séparation.
Age de la toute première faiblesse humaine, identifiée
au sentiment d'humanité au nom duquel, sans transition,
l'abomination peut succéder. C'est la direction des plus
grandes régressions où tous les jeux de puissance
- impuissance veulent en fait nous entraîner.
Le premier âge véritable, c'est l'âge
du faire . Des distinctions acquises viennent les interactions.
L'homme y est chose parmi les choses et il n'est pas loin de
l'âge archaïque qui se maintient encore par les puissances
(énergies ?) attribuées aux choses. Le groupe humain
est un groupe de cohabitation entièrement régi
par la dépendance économique tout en s'exerçant
à une plus grande habileté.
Faire de cet âge le référent absolu, est
le lot des divers matérialismes où, l'homme est
un produit matériel. Mais une certaine nostalgie ne nous
ferait-elle pas prendre cet âge de l'enfance de l'humanité,
comme le noyau authentique de l'humain alors que cette humanité
est encore loin de s'être accomplie, de réaliser
son humanité.
L'âge secondaire , celui dont a, à
juste titre, pu être fier au titre de civilisation, est
celui des représentations. Le règne de la raison
et de l'édification rationnelle du monde (déjà)
qui ont tissé toutes les fibres de notre civilisation
sur tous les plans, de la science, de la philosophie, du politique,
de la technique, du juridique et de toutes les affaires de la
cité.
Cet âge des représentations, édification
plus rationnelle du monde, projet imaginé pour être
réalisé, coïncide avec un plus grand niveau
de conscience, une réalisation plus grande de la spécificité
humaine et aussi le partage d'un monde mental, c'est-à-dire
intériorisé. Comment ne s'est-on pas aperçu
que c'est grâce à une plus grande profondeur d'humanité
que le progrès des civilisations s'est effectué.
Or déjà pour beaucoup cet âge a-t-il été
vécu comme abstrait, non concret, révélant
ainsi l'identification matérielle ou affective de l'humain.
Aujourd'hui pour d'autres, c'est la réduction de l'humain
à sa raison, à ses représentations qui fait
déjà nostalgie et auquel nombre de rationalismes,
traditionnels ou modernistes, vertueux ou habiles voudraient
nous aliéner.
La crise de maturescence dans laquelle nous sommes inaugure un
âge de l'homme dans la mesure où
c'est un nouvel approfondissement de l'humanité qui se
prépare assurant cette dimension VIR qui en réalité
poursuit l'accomplissement déjà engagé.
Non les dimensions précédentes ne sont aucunement
le gage et le critère de l'humanité même
si elles en sont déjà des expressions. Il est difficile
d'abandonner ces confusions, ancrages, identifications comme
lieu de la véritable humanité de l'homme et reconnaître
que la dimension intentionnelle est plus profonde, plus vraie.
Mais comme nous la maîtrisons mal, nous ne nous sentons
pas rassurés, ni assurés.
Le "lâcher prise" nécessaire qui n'est
pas abandon, ni méconnaissance de ces réalités
de l'homme, "homo", nous amène à découvrir
que nous qui croyons être seulement portés par le
monde nous le portons tous ensemble. C'est ce que veut dire monde
virtuel, c'est l'exigence de l'âge d'homme.
Venons-en en conclusion à la question des relations humaines.
Quand sont-elles le plus proches, le plus authentiques ? Du côté
de la confusion des affects ou du côté de la rencontre
des désirs, intentions des sujets humains. Du côté
de ce qui est le plus véritablement humain ou du côté
de l'archaïque. Quand l'altérité est-elle
reconnue? Dans la réduction de l'autre à l'archaïque,
dans sa réduction "économique", dans
sa réduction mentale, et idéele ou dans la reconnaissance
de la présence de sa personne, sujet d'intentions propres
?
Avec l'âge d'homme s'inversent les critères de proximité
et de distance. Ce qui rapproche les hommes, c'est ce qui les
implique au coeur. Ce qui les éloigne de leur humanité,
c'est ce qui réduit le coeur à l'une ou l'autre
de ses expressions.
Le monde du virtuel intègre toutes les dimensions de l'expression
humaine, médiations de Sens, multimédiations d'ailleurs.
Il fait de l'homme et de l'humanité de l'homme le soubassement
de toute réalité et, de toute réalité,
la médiatrice de la révélation et de l'accomplissement
humain, dans les petites et les grandes choses.
Roger NIFLE 6 Octobre 1996
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